Intimité cryptée
Images de l’exposition à l’onglet dessins
Gilles Tanguy, évadé d’une formation d’architecte et de l’exercice de cette profession, est un homme libre sinon un artiste libéré de l’emploi des matériaux et techniques à des fins de construction.
Non qu’il ait fui les contraintes, les raisons et les calculs de leurs mises en œuvre, auxquels l’architecture les assujettit mais au contraire, parce qu’il les a libérés, des normes et destinations strictement constructives afin de les dérouter vers une poïétique du faire.
Gilles Tanguy procède à un brassage intellectuel et pratique des opérations techniques possibles pour atteindre à la pleine réalisation d’un acte de fabrication cohérent et élégant, dont l’esthétique peut être parfois montrée et le dispositif parfois caché. Une sorte d’agencement dont la technologie particulière est appropriée à penser et construire les conditions de l’apparaître des formes dans le mouvement de leurs productions.
Ses orientations de travail configurent des territoires d’expressions et des champs d’investigations au cours desquels le choix des matériaux et des outils s’élabore dans le même temps que les objets qui se créent et les mondes auxquels ils ouvrent.
Matériaux, outillages et techniques se trouvent ou s’inventent dans de nouveaux arrangements. Ils peuvent provenir de savoir-faire inscrits dans des traditions séculaires tel que le moulage et être associés ou articulés aux technologies élaborées par la numérisation informatique. Ce mixage des techniques, sollicitées et provoquées, installe le volume de production possible des œuvres et engage le processus de création de Gilles Tanguy.
Une mixité technique co–présente à l’accompagnement du projet de la forme mais aussi consubstantielle à la forge intime de l’accomplissement plastique des œuvres. Elle assemble, agrège, ajuste matières, matériaux et objets et participe à la convocation du sens et à l’ouverture des interprétations
Suspendre le galbe féminin d’une jambe dans les mailles d’un grillage et le donner à voir tel la nasse des passions … qu’une flèche décochée transperce et déchire : une figure emblématique de l’Eros et de la tragique fragilité du masculin.
Mouler le mamelon d’un sein et l’ajuster à la puissante et immense courbure de l’œuf : un motif ironique de l’intime.
Prélever une pellicule de peau et éblouir sa forme réticulée dans la lumière de l’insolation photographique, la reproduire, la répéter, la réécrire : un motif d’infini obstination à tracer l’indicible.
Être attentif aux mouvements de l’âme (pour autant que cette dernière existe), que l’écriture s’acharne à saisir dans le soliloque de paroles insensées qui abondent au cours du temps de la fabrique de l’œuvre.
Ecrire dans les sédiments de la texture, le texte d’une mémoire d’oublis. Ici, chaque ligne des écritures se superpose sur la précédente comme pour empêcher la mémoire de celle qui était apparue et rendre illisible celle qui s’écrit dans l’instant.
L’insensé d’un temps rendu immobile parce que rendu indéchiffrable. Non pas un message codé mais une écriture impossible à délier et à déchiffrer, mais aussi le tissage acharné de l’illisibilité de ce texte là. Comme si les mots arrivaient par vagues et submergeaient leurs propres écritures. Peut-être même n’arrivent-ils pas à s’organiser en phrases tellement la vague les roule et érode leurs graphies, tellement les houles successives déposent leurs pellicules de poussière de sable et embrument leur lecture.
Une intimité cryptée par une nuée de mots, recouvre la création à la surface des choses.
Gérard Tiné, Octobre 2017